Publications 2011
Yamen Manai : La sérénade d’Ibrahim Santos, Editions Elyzad, Tunis, 2011, 270 pages.
Après le succès de son premier texte « La marche de l’incertitude » (Prix Comar 2009), Yamen Manai publie un deuxième roman « La Sérénade d’Ibrahim Santos », un texte à nette tonalité allégorique. Nous retrouvons là une atmosphère et des ingrédients qui nous rappellent le roman latino américain, en raison de cette teinte de réalisme magique qui traverse le récit.
Le village Santa Clara sera le théâtre de grands événements où les pratiques traditionnelles des habitants seront confrontées à une modernité factice incarnée par une gent militaire inflexible et impitoyable. Au milieu de cet implacable chaos, les villageois doivent leur salut à leur attachement irréductible aux composantes de leur identité locale et aux valeurs culturelles et écologiques que cette dernière charrie. Parmi ces valeurs, la musique. Dans ce sens, la sérénade d’Ibrahim Santos a la vertu non seulement de répandre une aura de poésie dans le village, mais aussi de dispenser un savoir météorologique, fort utile pour les paysans viticulteurs.
Hélé Béji : Islam Pride (Derrière le voile), Gallimard, Paris, 2011, 147 pages.
Le voile renvoie tant à un enjeu idéologique qu’à des implications identitaires ou religieuses. Dans un essai limpide et tranchant, Hélé Béji se penche de nouveau sur cette question, devenue depuis quelques années au cœur de tous les débats politiques et théologiques, tant dans le monde musulman qu’en Occident.
Deux aspects ont focalisé l’intérêt de l’essayiste. D’abord, pour éviter toute vision schématique et manichéenne mettant face à face femmes voilées et hommes fanatiques, Hélé Béji reconnait qu’il y a des femmes qui avaient choisi délibérément de porter le voile. Ce choix est examiné avec beaucoup de rigueur et circonspection. Pour l’auteur, le voile est un symptôme qui vise à critiquer le présent, à faire le procès de la modernité, à rejeter les valeurs aliénantes de la culture de consommation et à regarder avec suspicion l’ordre démocratique. C’est donc la faillite de tout ce que l’Occident affiche qui précipite le retour du voile.
Faut-il pour autant légitimer sans réserve aucune le port du voile ? Nullement. Pour Hélé Béji, le voile est revenu en Tunisie après une période de dévoilement sous l’exhortation de Bourguiba. C’est le contexte historique donc qui détermine son interdiction ou sa légitimation. Alors changeons aujourd’hui les données de notre réalité et le voile tombera. « Tu verras, un jour, tu l’enlèveras ! » scandait l’essayiste au visage de sa cousine : « Elle comprendra que le 13 août 1956 l’Islam a devancé le voile. Elle retrouvera l’humanisme de sa religion, qui n’a pas sacrifié les liens humains aux ruptures de la liberté […] Elle prouvera son féminisme, qui ne condamnera pas les femmes à une nouvelle guerre de Religion ».
Saïd Mestiri, Moncef Mestiri, aux sources du Destour, Sud Editions, 364 pages, Tunis, prix : 20dt, 2011, ISBN : 978-9938-01-046-6.
Moncef Mestiri fut un acteur politique de premier plan pendant plus de trois décennies décisives du siècle dernier (30- 50). Il participa aux côtés du prestigieux Thaalbi à la fondation du Destour, dont il devint président au lendemain de la grande scission entre les pionniers et les jeunes du Néo- Destour. Il prit part ensuite activement au combat pour l’indépendance de la Tunisie. Ayant fréquenté de près les deux générations du Mouvement national tunisien, Moncef Mestiri, raconté par Said Mestiri, révèle aujourd’hui au grand public la grande gestation politique et sociale qui détermina la Tunisie moderne. Mais si cette biographie est imposante par la stature du personnage, elle est fortement imprégnée du sentiment filial qui relie le biographe à son oncle. Saïd Mestiri ne s’en cache pas. Il n’a ni la rigueur de l’historien professionnel, ni la distance nécessaire vis-à-vis du protagoniste de son récit. Il écrit d’entrée de jeu : « J’étais totalement impliqué dans sa vie familiale et dans l’appréhension des événements qui ont marqué sa vie politique, ce qui me conférait certes, une connaissance inégalable de mon personnage, mais pouvait néanmoins amoindrir l’objectivité de mon jugement.». Très scrupuleux dans son enquête, Said Mestiri réussit assez rapidement à surmonter ses nombreuses appréhensions pour écrire la biographie d’un être proche et raconter une partie de l’Histoire nationale.
Tripoli au féminin
Kamal Ben Hameda, La Compagnie des Tripolitaines, roman, Elyzad, Tunis, 2011, 109 pages, prix : 11.900DT (14.90E), ISBN : 9789973580344.
Ce n’est, à vrai dire, pas tout à fait un roman. Traitant de la destinée quasi collective d’une foule de femmes, Kamal Ben Hameda a choisi de ne pas camper ses personnages dans les péripéties d’une intrigue romanesque. Mais c’est un beau récit dans lequel l’enfant Hadachino raconte le quotidien des Tripolitaines, à travers l’expérience de sa propre mère et des femmes du quartier dans les années soixante. Parution
Salah El Gharbi, Yesmina Reza ou le théâtre des paradoxes, L’Harmattan 2010, 161p. 16 euros
Il s’agit d’un ouvrage critique organisé en cinq chapitres qui se proposent d’interroger l’œuvre de Yesmina Reza sous divers angles. Les unités d’espace et de temps, qui cadrent l’intrigue dans le théâtre traditionnel, sont d’emblée étudiées par Salah El Gharbi qui montre que Reza étoffe ses personnages, entre autre, par la capacité qu’ils ont à restructurer ces notions au moyen de leurs discours respectifs. Ces « héros dérisoires », comme les appelle l’auteur de l’ouvrage, sont analysés et présentés comme siège du langage et support de discours investis d’un sens qui se construit et se déconstruit au fil de l’intrigue. L’une des conclusions à laquelle aboutit Salah El Gharbi est que le théâtre d’Y. Reza est un théâtre polémique. L’autre est que la dramaturge française, tant décriée et taxée entre autre de faire du théâtre « d’import-export », fait de ses œuvres le lieu de recherche d’une nouvelle esthétique théâtrale. Yesmina Reza ou le théâtre des paradoxes aborde l’œuvre en opérant des analyses de détails et en essayant, par une sorte de mise en miroir avec la tradition, de mettre en valeur ce qui fait de l’écriture rezaienne une écriture qui s’inscrit dans le sillage de la modernité. Dans sa conclusion, S. El Gharbi précise, à propos de Y. Reza : « Il semblerait que, pour elle, une fois l’œuvre achevée, l’écrivain devient un lecteur parmi d’autres », il ajoute concernant la critique littéraire : « C’est à la critique de s’interroger sur ces écrits et de les jauger selon les critères les plus subtils et les plus objectifs. C’est à la critique de scruter, non pas ce qui a été prémédité, mais ce qui est mis en œuvre, non pas de révéler les intentions mais plutôt, d’actualiser l’écrit, de dévoiler la part de non dit du texte, ses qualités différentielles, ses errances et ses ratages ». Ces propos illustrent parfaitement la démarche entreprise par cet universitaire soucieux de proposer des pistes de réflexion pour une œuvre qui demeure « complexe et ouverte » La nostalgie d’un romanesque rétro
Sélim Lafif : Miel et Fiel, Editions arabesques, Tunis 2011, 134 pages. ISBN : 978 9938 801 50 7
Après un bref récit Rendez-vous, publié à Paris en 2005, l’auteur réitère son expérience romanesque avec un autre récit, aussi bref que le premier. Là, S. Lafif invente un univers parfaitement conforme à l’attente d’un public mordu par le traditionnel roman-photo, un genre certes révolu, mais qui semble mobiliser, comme en témoigne le récit de M Lafif, un public qui aime l’émotion lyrique et les épanchements du moi, comme savent l’entretenir les feuilletons télévisés mexicains ou turcs. Renaître dans l’espace de l’Agora
Dégage, La révolution tunisienne (livre témoignage). Editions Alif (Tunisie) et Du Layeur (France), 240 pages, avril 2011.
Comment cerner les implications multiples qui avaient déterminé et façonné la révolution du 14 janvier ? La tâche n’est pas commode, non seulement parce que l’événement est d’une telle ampleur qu’il serait difficile d’en mesurer les composantes dans le feu de l’action, mais aussi parce qu’il faut bénéficier au préalable d’une distance requise du temps, afin de pouvoir l’analyser à sa juste valeur. |