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Focus

Question : Quelle place pour les écrivains tunisiens de langue française ?

 

La suspicion, sinon l’accusation de trahison, a longtemps accompagné l’avènement des littératures francophones du Maghreb : on reprochait aux écrivains francophones d’écrire dans la langue de l’Autre, celui qui nous a colonisés. C’est donc un facteur d’aliénation et un moyen d’assimilation. L’écrivain francophone serait un traître à sa patrie pourtant libérée du joug du colonialisme. Pire encore, il traîne son statut francophone comme un boulet, hué à son passage par les adeptes de la pureté identitaire, et porte la langue française comme un véritable opprobre.

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LE ROMAN TUNISIEN DE LANGUE FRANCAISE ET L’AVENEMENT D’UNE GENERATION FANTASTIQUE

 

 

La littérature tunisienne francophone a fait son petit bout de chemin aux côtés de ses consœurs algérienne et marocaine ; leur marche triomphale a démenti la prophétie d’Albert Memmi qui leur avait prédit de mourir jeunes. Considérée comme mineure dans le champ littéraire maghrébin, la littérature tunisienne n’en a pas moins donné de grands noms tels que Memmi, Meddeb ou encore Mellah dont le grand œuvre, Le Conclave des pleureuses, n’a pas reçu l’accueil qu’il mérite. D’autre part, la génération des aînés a suivi pendant près d’un demi-siècle la même évolution littéraire que ses voisins maghrébins avec lesquels elle partage presque la même Histoire: littérature ethnographique au début, désenchantement et combat ensuite, exacerbation de la littérarité dans les années 80, retour violent de l’Histoire à la fin du siècle - surtout en Algérie - et des histoires linéaires comme pour souligner l’adhésion – tardive d’ailleurs –au courant mondial postmoderne.

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Identité plurielle

Dans le cadre de ses activités, l'association "Livres à Tunis" / Tounes wal Kitab" a organisé le 8 mars 2013 une manifestation sous la forme d'une table ronde autour de la question :"Qu'est-ce qu'être tunisien aujourd'hui?". Y ont participé plusieurs figures intellectuelles qui ont apporté leur témoignage personnel ou leur éclairage professionnel sur le sujet. . Y ont participé également Mlles Amira Gouider et Amira Ghaouar, deux étudiantes au mastère de français à l’ISLT, dont les contributions méritent d’être lues et méditées sur notre site.

Texte1 (Amira Ghaouar) :

Depuis deux ans, c’est-à-dire depuis la révolution du 14 janvier 2011, une question revient dans nos débats d’une façon récurrente. Mais qu’est- ce qu’être tunisien aujourd’hui ?  Comment peut-on définir son statut, son identité ou encore les contours de sa citoyenneté ? Peut-être qu’ il ne serait pas insensé, par ricochet, de poser la question autrement : qu’est-ce que ne pas être tunisien ?

La Tunisie est mon « bled ». Et je n’ai pas dit « Pays » ou « Patrie », parce que ce mot « bled » a une connotation particulière chez-nous, parce qu’il a une charge subjective qui renvoie autant à un espace communautaire qu’à un imaginaire collectif.

Ma Tunisie n’est pas seulement le jasmin,  les persiennes bleues de Sidi Bou Saïd, les plages du Sahel ni le désert du Sud. Non, elle est unique. Dés que j’entends le mot « Tunisie », la carte géographique me revient à l’esprit, me remplit les yeux.  Dans mon imagination, je la vois toujours telle une belle femme, rayonnante et enceinte qui lève les bras vers le ciel. Je suis donc née dans ce bled et originaire des vingt-quatre régions qui le composent. Les régions oubliées et dépouillées sont aussi les miennes. Son charme réside dans sa nature, sans artifices. Si tu veux vraiment connaitre le vrai Tunisien, alors tu dois savoir qu’il sourit presque tout le temps, sauf le matin, lorsqu’on prend le métro.

Le vrai Tunisien trouve toujours une blague à te raconter, même quand les choses vont vraiment mal. Si tu sors te balader en ville et que par hasard tu tombes sur un rassemblement ou une bagarre, sois sûr que le Tunisien ne résiste pas à la tentation d’aller voir ce qui se passe et en connaitre les raisons. Oui, nous sommes de nature très curieuse. Une fois, quand j’avais dix ans, on a entendu dire, là où j’habitais, qu’on avait posé une bombe dans l’hôtel au cœur de la ville. En bonne logique, les gens devraient déserter les lieux. Eh bien, c’était le contraire qui s’était produit ! Toute la ville se précipita vers l’endroit indiqué pour voir la fameuse bombe et attendre l’explosion. Heureusement,  ce n’était qu’une rumeur! C’est vous dire que la morosité et la guigne ne sont pas tunisiennes !

Pendant les deux années précédentes, j’ai participé à des manifestations de rue. J’ai aimé la foule et adoré le gaz lacrymogène. Ces bruits et odeurs me manquent encore. J’ai pu comprendre grâce à ces événements que nous sommes, malgré tout, solidaires. Des malentendus nous séparent peut-être aujourd’hui. Certes, nous ne sommes pas semblables, mais quand même complémentaires. Les uns ne sont pas moins croyants que les autres. Ils sont juste plus ouverts. Le Tunisien est plutôt un bon croyant, même quand la tentation de l’alcool le prend de temps en temps. Cette contradiction ne fait-elle pas de nous un peuple unique ?

Ma tunisianité, je la sens très fortement dans ce fou rire d’une jeunesse optimiste malgré tout, dans le sourire nostalgique d’un immigrant, dans le glamour des femmes de chez-nous. Je la reconnais dans la sueur de ces travailleurs modestes que l’on croise au petit matin. Capsienne, phénicienne, punique, carthaginoise, romaine et ottomane, je suis donc tunisienne, et c’est assez riche et réconfortant pour moi. J’ai toujours pensé que le fait de quitter le pays serait un bon pas dans ma vie. Mais la question me hante toujours : Serai-je respectée ailleurs comme je le suis ici ? Serai-je comprise ? Serai-je moi-même ? Je ne saurai répondre à toutes ces interrogations, mais je suis emplie pour le moment d’un sentiment de satisfaction. Je me sens  bien dans ma peau brune de tunisienne. J’aime cette terre, cet air, ce ciel. J’aime ces gens, même les plus bornés d’entre eux.

Peut-on vraiment se détacher de ce qu’on aime ? Moi, qui suis captive de ma Tunisie, je ne le pense pas. Réserve d’un amour éternel, ce pays triomphera des ténèbres.

Je suis originaire du sud tunisien et plus exactement de Gafsa. J’ai eu la chance de vivre et de voir la première étincelle du soulèvement du peuple. En 2008, j’ai ouvert les yeux et appris le sens de l’injustice et de la misère. J’ai vu des pères pleurer leurs enfants encore jeunes. J’ai vu des mères batailler, au vrai sens du terme, aux côtés de leurs garçons. J’ai connu moi-même l’iniquité. C’était une période noire de notre vécu, de l’histoire de mon fief et de tout le pays. Nous ne pourrons jamais l’oublier. Elle fait désormais partie de l’Histoire nationale. Avoir la tentation de l’oublier serait une grave méconnaissance des vraies raisons de notre Révolution. Car, nous ne sommes pas soulevés uniquement pour la liberté, mais aussi pour la dignité, la justice et l’égalité. C’est pour ces raisons que j’ai encore confiance en ce peuple qui m’a montré comment je peux être citoyenne d’ici.

Etre tunisien aujourd’hui c’est se sentir grand dans ce petit pays pour fouler son sol la tête haute. Personne n’y est supérieur à personne. Unis par notre foi, nous saurons toujours parer aux tentatives qui visent à semer la division et la fronde. Hugo disait « Ceux qui vivent sont ceux qui luttent ». Et nous sommes vivants !

Chers compatriotes, restez naturels ! Soyez vous-mêmes et luttez pour votre futur ! Ne craignez pas l’ambition ! Osez ! Avancez ! Vous êtes tunisiens!!!

 

Texte 2 (Amira Gouider) :

Comment peut-on être soi –même quand ses propres racines sont pétries dans le divers et le multiple ? Qu’est-ce qu’être tunisien aujourd’hui ?
La Méditerranée a drainé depuis la nuit des temps des civilisations qui avaient façonné une identité tunisienne généreusement ouverte sur les autres, avec des résonances multiples : berbère, punique, romaine, byzantine, vandale, arabe, andalouse, espagnole, ottomane, génoise et française, sans oublier le passage des Normands et des Vikings.
C’est donc au gré d’un subtil recoupement entre ces appartenances multiples que l’être tunisien s’est forgé une identité. Cette panoplie de comportements et de traditions héritées rejaillit souvent et se fait sentir dans le quotidien du Tunisien. C’est que le local tisse un réseau d’échos avec l’universel et réciproquement. Dans cette perspective, l’identité tunisienne échappe à tout alignement univoque et ébranle toute contrainte exclusive pour brasser ainsi un monde culturel haut en couleurs qui répond aux aspirations et aux tempéraments des Tunisiens.

Elle, lui et moi, nous sommes les enfants de cette grande patrie qui nous a inculqué les nobles valeurs du respect, du partage et de l’amour de l’autre.
Faisons preuve de patriotisme et préservons notre patrimoine ! Redressons-nous contre les idées passéistes et rétrogrades pour pouvoir bâtir un avenir radieux.
Je ne saurais parler de mon identité sans rappeler la pondération, le bon sens et la tolérance des ancêtres : c’est une source d’inspiration et un référent pour nos enfants. Elle est aussi le miroir qui reflète notre image toujours en relation dynamique avec celle de l’autre.
Parce que la tunisianité est mixte, hybride et plurielle, elle récuse le repli identitaire et incite à l’ouverture sur autrui. Dans ces contrées, le « brassage » est loin d’être un vain mot. Il module notre idiome local (un doux mélange de berbère, de latin et d’arabe). Il est dans notre art culinaire, dans nos habits et notre joie de vivre.

Mon identité, si j’avais à la décliner en quelques mots, je dirais qu’elle est généreusement paradoxale: je suis tunisienne à mon insu et de mon plein gré.
Oui, si j’avais à choisir un pays natal, je ne pourrais me voir naître que dans ce petit pays qui est le mien. Je ne m’imaginerais pas non plus grandir ailleurs que dans les ruelles de notre ksayba bizertine. Je sècherais volontiers
les cours pour passer mes après midi au cinéma de Paris tout en essayant, tant bien que mal, de m’initier à l’anglais, à l’allemand et à l’indien, tout en savourant l’irrésistible « kaskrout lablebi ». Tant pis pour les fautes d’orthographe !

Mes souvenirs, qui sont intacts, m’ont façonnée. Ils ont fait de moi cette demoiselle passionnée de littérature, de théâtre et de cinéma.
Je suis maintenant une jeune femme épanouie, libre et combattante ; je défendrai de toutes mes forces mes droits, mon pays et ses femmes. Tout cela fait partie aussi de la tunisianité. Les femmes en sont les vrais chaînons: Didon la Fondatrice de Carthage ; El Kehna, la Reine berbère ; Lella Manoubia, la Sainte ; Aziza Othmana, la bienfaitrice ; Bchira Ben Mrad, la pionnière du féminisme et Tawhida Ben Cheikh, la première blouse blanche de chez-nous.


En cette journée du 8 mars, je rends hommage à toutes ces figures féminines et à bien d’autres qui nous ont marqués pour toujours.

 

 

 

Comment devient-on antihéros ? Pour un nouveau roman tunisien post révolutionnaire

 

Face aux événements que nous vivons aujourd'hui, l'écrivain tunisien ne peut réagir de la même manière que le militant politique ou le simple citoyen aux prises avec les difficultés matérielles de son quotidien. L'artiste a besoin du temps, d'un certain recul. Bien sûr, avant d'être créateur, l'écrivain est un citoyen qui réagit comme les autres, au gré des valeurs auxquelles il croit, si bien qu'il peut apparaître sous les traits d'une conscience engagée et enthousiaste, ou d'un esprit opposant. Mais, en tant qu'artiste conduit à composer une œuvre littéraire digne d'intérêt, il sera amené à méditer longuement sur l'œuvre à venir, à suivre un cheminement laborieux où les considérations politiques, idéologiques ou morales sont évaluées à l'aune des exigences esthétiques. Ce retrait ou ce décalage par rapport à l'agitation générale s'explique surtout par le fait que l'artiste ne doit pas se contenter d’être attentif aux mécanismes de l'histoire. Il doit aussi parvenir à saisir les contours de la géographie mentale des acteurs sociaux. C'est à ce titre qu'il est gagné par un état d'esprit particulier : il se détache de l'événementiel et s'emploie à se mettre à distance par rapport à son environnement immédiat. Cette attitude est d'autant plus nécessaire qu'elle est vécue par l'écrivain, tantôt sur le mode d'un exil intérieur ou d'un décalage par rapport à la réalité immédiate, tantôt sous la forme d'un exil réel, pleinement assumé.

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N’est pas Voltaire qui veut.

 

 

 

 

 

 

J’envie celles et ceux qui ont pu prendre la parole ou la plume, dans le feu de l’action, pour commenter l’insurrection de la jeunesse.L’interview exclusive accordée par Gilbert Naccache à Nessma T.V me semble, à ce sujet, particulièrement lumineuse.Cet intellectuel solitaire revisite avec beaucoup de modestie et grande exigence la relation entre le peuple tunisien et ses élites. Si la profondeur de son analyse mérite que j’y revienne plus longuement dans d’autres articles, la sérénité de son propos m’invite à ce banquet républicain. Ne faudrait-il pas parler aussi de ceux dont la parole meuble maintenant nos soirées médiatiques? Ils font ce qu’ils peuvent. Leur discours, fatalement à la traîne de l’événement, tente de colmater ses propres brèches et de s’improviser une cohérence. Quel vacarme ! Quelle catharsis collective ! Nous en avons, je l’avoue, grand besoin.

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