Noura Bensaad : Quand ils rêvent les oiseaux (nouvelles), Editions Elyzad, Tunis 2009, 101 pages, ISBN : 978 -9973- 58- 021- 4

 

 

Composé de huit nouvelles courtes, le recueil de Noura Bensaad se distingue par une écriture sobre, condensée et elliptique. La preuve que l’auteur ne cherche pas  à raconter une historie ou à développer une matière narrative. Son objectif est ailleurs : capter dans l’existence de ses personnage un instant furtif, une réaction à peine esquissée, une émotion promptement écartée, une aventure dont la fin gomme toutes les traces, une relation belle, mais sans suite.

Là, le choix du genre de la nouvelle n’est pas motivée par une simple considération formelle ou esthétique, mais répond à une exigence intellectuelle : le sens de la vie se cherche dans les plis de la banalité quotidienne, dans les gestes mous et apathiques que nous déployons dans la platitude de  notre existence.

         Pour Noura Bensaad, une nouvelle se construit toujours comme un tableau qui met les personnages aux prises avec une relation qui commence comme un coup fulgurant et se termine en queue de poisson, telle une force happée par la violence du destin ou le hasard de l’histoire. Cette force, sans être explicitement nommée, aime miroiter devant les êtres les images d’un bonheur possible, mais se ravise promptement et s’enrage à leur infliger, avec un implacable acharnement, l’ordre de se séparer.  Cette force aveugle ne supporte pas le rapprochement entre les êtres, leur attirance mutuelle et leur élan fusionnel les uns vers les autres. D’où ce paradigme irréductible de la séparation.                                                                                                    

        Dans La traversée, le marin s’enflamme pour une jolie fille du port que va disparaître après des jours de grande volupté. Dans Des pas dans l’escalier, Paul et Anne se séparent après neuf années de mariage. De même, Pascal Mantovani, le psychanalyste de renommée, a fait une chute qui lui a causé un traumatisme crânien, et surtout une sorte de « béance dans son être ». Et pour cause : la psychanalyse en laquelle il avait cru si longtemps n’était plus qu’ « une immense duperie, un château de cartes » (p67). Dans Poupée jolie, la petite fille de joie sur un chantier disparaît, peut-être tuée par son amant, le seul parmi tous les ouvriers osant lui faire l’amour sans lui bander les yeux. Dans cette galerie de destins fragiles et évanescents, seul l’artiste possède peut-être la vitalité de tirer son épingle du jeu, comme l’illustre la nouvelle Le Passeur, un plasticien doublé de grand lecteur qui capte les silhouettes et les choses ; il les cristallise dans ses toiles avant qu’ils ne disparaissent : « La vieille dame est la mémoire de la ville, mais aussi sa propre mémoire qui enregistre les moindres détails, parfois les plus insolites » (p54).

           Dans les plis de ces existences mornes, plates et presque sans bruits, il y a beaucoup de violence et de cruauté. La mort rôde partout ; la menace d’une disparition guette les êtres et un mal diffus investit les  lieux.  Une atmosphère que Noura Bensaad parvient à restituer comme une matière neutre, froide clinique, au gré d’un style qui chasse tout pathos ou effusion des sentiments. La preuve que, dans cet univers, la vie coule comme « un fleuve tranquille ». Seuls demeurent et émergent à la surface des choses, les signes furtifs d’une existence à peine accrochée à une pente raide : les pas dans la nuit (Des pas dans l’escalier), le bruit de la mer (Traversée), la vision d’un tableau (Alice), la surface miroitante d’un petit lac (Poupée jolie) ou les mots qui deviennent chair vivante (Soledad).

 Mais où se cache le narrateur de ces nouvelles ? Il est fuyant. Les modalisateurs dont la fonction est de laisser entrevoir les marques de la subjectivité du scripteur sont quasiment gommés. Il y a dans le style Bensaad une méfiance, voire une suspicion à l’égard des adjectifs. C’est que, dans ces nouvelles, l’écriture est guidée par une plume qui raisonne, mesure ses pas, pèse ses mots et prend garde de s’écarter de son principal objectif : transformer les remous de la vie en une absence de vie, en une matière irréelle, fantomatique et spectrale.                                                                                              

Chez Noura Bensaad, la normalité est constamment appréhendée comme un mal douloureux, une pathologie qui exige le recours au médecin du corps et aussi à celui de l’âme. Et l’auteur de renouer frontalement avec la fonction première de l’art : la purification, la catharsis ou la guérison d’un certain  mal de vivre.  

 

                                                                   Kamel Ben Ouanès